Étude de la musique des donjons de « Link’s Awakening »
Une plongée musicale au cœur des pistes de donjon de « The Legend of Zelda: Link’s Awakening ».
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Il y a quelque chose que l’on dit souvent à propos de la créativité, c’est qu’elle s’exprime lorsque les conditions sont restreintes — c’est‐à‐dire que l’acte de contourner les contraintes et de trouver des solutions intelligentes est souvent à l’origine de l’apparition de bonnes idées. Link’s Awakening a été réalisé en 1993 et est sorti sur la Game Boy originale — ce qui veut dire que si vous écriviez de la musique pour ce jeu, vous étiez extrêmement limité à plusieurs égards. La puce sonore de la Game Boy disposait de quatre canaux — deux canaux d’ondes rectangulaires, un canal pour le bruit et un canal d’onde programmable. Comme le canal de bruit est principalement utilisé pour les percussions et autres effets sonores, cela veut dire qu’en tant que compositeur, vous étiez limité à trois canaux de son en simultané pour la mélodie et l’harmonie, deux d’entre eux étant bloqués dans un timbre spécifique (une onde rectangulaire). Ça ne vous laissait pas grand‐chose.
Et pourtant, la série Zelda avait besoin d’innover. Dans les deux premiers jeux Zelda (le Legend of Zelda original et The Adventure of Link, tous deux sur NES), il y avait principalement une seule piste dans chaque jeu qui était utilisée pour tous les donjons.
The Legend of Zelda – « Underworld BGM »
Zelda II: The Adventure of Link – « Palace BGM »
Link’s Awakening était le premier jeu de la série à avoir une musique unique à chaque donjon. Afin de rendre chaque piste suffisamment différente des autres, mais tout de même identifiable en tant que piste de « donjon », Link’s Awakening a choisi de composer les musiques des huit donjons comme des variations d’un thème — c’est‐à‐dire prendre une idée musicale, ou « thème », et écrire différentes versions de celle‐ci, ou « variations ».
Ce qu’il y a de si impressionnant et créatif avec les thèmes des huit donjons de Link’s Awakening, c’est la façon dont les compositeurs ont pris en compte les limitations des composants audio de la Game Boy et réalisé ces variations — malgré, encore une fois, l’accès à une palette de timbres extrêmement restreinte et à pas plus de deux voix différentes.
Le thème
Le « thème », dans cet exercice de thème et variations, n’est en fait pas la piste du premier donjon, mais plutôt la piste standard des grottes (« Cave ») :
« Cave » (La piste boucle à 0:17.)
Des variations intéressantes et bien écrites d’un thème prennent autant d’éléments que possible du thème et les incluent dans la variation. Il serait facile de croire qu’une variation n’est qu’une réharmonisation de la mélodie du thème, ou la mélodie du thème avec quelques embellissements supplémentaires (non pas que ce soit de « mauvaises » façons d’écrire une variation), mais les variations sont souvent bien plus intéressantes que cela.
C’est pourquoi il est intéressant d’examiner chaque élément du thème, depuis une petite échelle, note à note, jusqu’à la structure de ce thème à l’échelle macroscopique.
Tout d’abord, le plus simple : j’ai surligné en bleu ce que l’on pourrait appeler la « mélodie » du thème des grottes. C’est un motif ascendant de quatre notes dont les trois premières montent pas à pas et la dernière saute d’une quinte — facile à reconnaître.
Ensuite, j’ai surligné en rouge la réponse musicale à la mélodie principale — ce n’est guère plus qu’un simple intervalle d’une quarte augmentée, ou « triton ». Parlons très rapidement des tritons :
Un triton est un type d’intervalle — l’écart entre deux hauteurs de notes. Dans la théorie musicale traditionnelle, il existe une notion d’intervalles consonants et d’intervalles dissonants. La majorité des accords et des harmonies que vous entendez dans la plupart des musiques sont des combinaisons d’intervalles consonants, ce qui inclut les tierces, les quartes, les quintes et les sixtes. (Ces intervalles peuvent ensuite être qualifiés davantage, de mineurs ou majeurs par exemple.) Le triton est en revanche considéré comme l’un des intervalles les plus dissonants — à tel point que dans les débuts de la musique classique il était surnommé l’« intervalle du diable ». [N. D. T. — Une symbolique qui remonte à l’époque médiévale.]
En conséquence de cette association, le triton donne un son distinctif couramment entendu dans la « musique d’horreur » ou dans la musique associée à quelque chose de « maléfique ». Ainsi, c’est tout à fait logique qu’il soit utilisé ici pour les donjons de Link’s Awakening.
On pourrait donc penser que ce thème est essentiellement caractérisé par le motif bleu et le triton rouge. Toutefois, il y a un autre élément qui s’avère important et récurrent, et qui apparaît dès lors que l’on prend du recul pour observer la piste dans son ensemble et considérer ce qu’il se passe au moment où elle boucle :
En vous aidant des couleurs, regardez les interactions entre le motif mélodique bleu et la réponse des tritons rouges. Notez comment, à mesure que la piste progresse, l’intervalle de temps entre les interactions bleu/rouge devient de plus en plus court jusqu’à ce que la fin de la piste soit atteinte et que l’intervalle soit réinitialisé. Si vous représentiez cette interaction musicale, elle ressemblerait à ceci :
Évidemment, la question ici est de savoir quelle est sa finalité musicale. Qu’est‐ce que cela permet d’accomplir ?
Pour répondre à cette question, écoutons ce morceau de musique très connu :
À mon sens, la piste des grottes tente un effet similaire (mais plus subtil) — utiliser des intervalles de temps de plus en plus courts entre les motifs musicaux et monter dans l’aigu pour créer un sentiment de danger imminent ou que quelque chose se « rapproche ». Appelons ça l’« effet Dents de la mer » et gardons‐le en tête, à côté de nos motifs « mélodie bleue » et « triton rouge », alors que nous avançons…
Dossier réalisé par Zelink, le 08 avril 2017
À propos de l'auteur :
Je soule mon monde pour des écarts typographiques d’une insignifiance consensuelle. Le vice des points a corrompu jusqu’à mes écrits les plus informels. Ce que je fais de bien, c’est comme cette rime : de l’accidentel. (Af, là, ça sonne pas naturel.)