Interview : Les cahiers de la Playhistoire spécial Zelda

La date de sortie du premier Zelda en France fait l’objet d’un traitement particulier dans ce magazine. Sur Internet, on trouve notamment les dates du 15 et 27 novembre 1987. Sais-tu d’où viennent ces dates et pourrais-tu expliquer à nos lecteurs en quoi elles sont incorrectes ?

Bonne question ! Ces dates de novembre 1987 sont un mystère. Visiblement, ça provient de Jeuxvideo.com, mais impossible de savoir comment ils ont eu cette date. C’est très certainement la date de sortie dans un pays européen, mais impossible de savoir lequel. En fait, cette date est incorrecte pour « l’Europe ». À l’époque, il n’y a pas d’entité Nintendo of Europe et tous les pays sortaient les jeux Nintendo à des dates très différentes et indépendamment les uns des autres. Parfois, avec deux ans d’écart ! Donc cette date est peut-être celle de la sortie allemande ou italienne, ou anglaise ! On n’en sait rien. Une chose est sûre, ça ne vaut pas pour les autres pays et encore moins pour la France.

Pourquoi ça ?

Parce que cette date de novembre 1987 est impossible. Elle est incompatible avec l’histoire de Nintendo en France, tout simplement.

Qu’entends-tu par « incompatible » ?

En fait, on sait aujourd’hui que Zelda est sorti en France pendant l’ère Bandai, le distributeur de Nintendo à partir de 1988. Or, en novembre 1987, Bandai ne distribue pas encore les jeux Nintendo. ASD, la boîte qui distribuait les jeux Nintendo en France en novembre 1987, n’a pas encore fait banqueroute. Donc si le jeu était sorti pendant l’ère ASD, les cartouches et les boîtes auraient toutes le logo ASD. Et ce n’est pas le cas, on voit clairement le logo de Bandai. Donc la date de sortie est forcément après janvier 1988.

Le mystère de la date de sortie de Zelda en France me trottait dans la tête depuis longtemps, car quand j’ai découvert ce qu’affichaient Wikipédia et tous les sites français, j’ai immédiatement vu qu’il y avait une anomalie. C’est dingue de se dire qu’en réalité, on n’a jamais vraiment su quand ce jeu était vraiment sorti chez nous ! Donc ce magazine Zelda a été l’occasion parfaite pour se dire : « Allez, c’est le moment ou jamais de résoudre le mystère ! »

Comment as-tu remonté la piste de la date de sortie du jeu ?

Ha ha ! Je t’invite à lire tout ça dans le magazine, car tu vas voir que c’était vraiment un sacré paquet de nœuds ! La plupart des gens doivent se dire : « Bah, il suffit de regarder dans les tests des magazines de l’époque pour savoir quand le jeu est sorti ! » C’est ce que je croyais aussi au début ! Sauf que j’ai vite compris que ça serait vraiment très compliqué…

Pourquoi ?

En fait, le tout premier test de Zelda arrive en janvier 1988 dans le magazine Tilt. Mais ensuite, on n’a plus aucune nouvelle de Zelda pendant des mois. Il faut attendre le mois de juin pour trouver une pub de Nintendo qui annonce que « The Legend of Zelda va sortir en juin 1988 » ! Sauf qu’en juin, juillet, août, on ne trouve aucun test, aucun article, aucune news. Silence radio ! Après cette annonce de Nintendo, plus rien ! Il faut attendre septembre 1988 pour avoir un deuxième test dans un autre magazine ! Et là encore, on ne trouve rien dans d’autres magazines. Il faut ensuite attendre décembre 1988 pour qu’une autre page publi-rédactionnelle de Nintendo dise : « Zelda ! Bientôt sur vos écrans ! » Alors qu’on arrive en 1989 !

Bref, rien qu’avec ça, tu te dis qu’il y a de quoi perdre la boule ! Vraiment, ça n’a pas été simple de percer ce mystère et ça m’a pris du temps. Mais tout le procédé de recherche est écrit avec beaucoup de précision dans cet immense article… C’est assez surprenant !

Zelda a 30 ans. C’est une série culte dont la presse spécialisée chante les louanges depuis bien longtemps maintenant. Pourtant, il est assez dur de savoir comment les deux épisodes sur NES ont été accueillis à l’époque. À quoi cela tient-il selon toi ?

C’est assez simple, c’est juste que personne n’a pensé à le demander avant moi ! Cela fait plus de quinze ans que je mène des recherches sur le rétrogaming et je me souviens qu’à l’époque, au début des vraies recherches rétrogaming, tous mes collègues rétrogamers et moi étions exclusivement focalisés sur l’étude du jeu vidéo japonais !

On voulait tout savoir sur Capcom, SEGA, Nintendo, NEC et on voulait écrire sur les grands noms du jeu vidéo japonais. Mais vers 2008 ou 2009, j’ai commencé à me dire : « OK, on s’intéresse à l’histoire des autres pays mais comment ça s’est passé chez nous ? Comment Nintendo est arrivé en France ? On connaît leur histoire au Japon, aux États-Unis, mais c’est fou qu’on ne soit pas fichu de savoir comment ça s’est passé à quelques kilomètres de chez nous ! » J’ai alors cherché pour retrouver des anciens de Nintendo France. Et ils étaient étonnés que je leur propose des interviews car personne ne les avait jamais contactés pour ce genre de choses… J’ai ainsi pu écrire l’histoire de Nintendo France dans mon « Histoire de Nintendo Vol.3 ». Ça a fait beaucoup de bruit et depuis, les gens que j’ai retrouvés sont régulièrement contactés par les médias. Comme si j’avais débloqué quelque chose. Et je ne regrette pas car c’est une histoire incroyable et passionnante ! Mais ce constat, il vaut aussi pour Zelda.

La plupart des gens se contentent de taper « histoire de Zelda » sur Internet et ils écrivent les mêmes articles que les autres. Il faut juste essayer d’aller plus loin, de se bouger, de prendre du temps pour retrouver les gens, les contacter, les rencontrer, écrire… Là, j’ai pu obtenir de supers infos de la part des acteurs de Nintendo/Bandai France à l’époque et c’est comme ça qu’on fait avancer l’histoire.

Tu as étudié de près la sortie du jeu en France. Quel a été l’accueil fait au jeu à l’époque ?

Pour les joueurs français, soyons honnêtes, la cartouche Zelda n’était attendue que de quelques dizaines voire centaines de gamers bien informés et qui voyaient qu’un certain Zelda cassait tout sur son passage aux USA. Et ces quelques geeks qui vivaient à l’heure américaine attendaient avec impatience que le jeu sorte sur notre NES française. Mais pour le reste, c’était le néant absolu !

En 1988/1989, Zelda est totalement inconnu des enfants et donc personne ne l’attend vraiment. Par contre, et c’est là que ça devient très marrant, c’est que Zelda était attendu comme le Messie au sein des équipes de Nintendo France ! Évidemment, personne ne savait encore en interne si le jeu allait plaire aux petits Français et si ça allait se vendre. Mais avec mes recherches, j’ai vite compris qu’au sein de Nintendo/Bandai France, The Legend of Zelda était un peu la dernière chance pour Nintendo de tenir tête à SEGA. Pourquoi ? Désolé je t’invite à lire le papier que j’ai consacré au sujet pour savoir pourquoi !

Ce hors-série des Cahiers de la Playhistoire contient des anecdotes inédites sur la série. Si tu devais n’en retenir qu’une seule, ce serait laquelle ?

Eh bien ça va faire un peu redite avec ce que je viens de répondre, mais si je devais garder deux anecdotes, ce serait l’incroyable chantier pour retrouver la date de sortie du jeu en France et le fait d’apprendre que Zelda était le sauveur de Nintendo France, avant même sa sortie. Et que sans ce Zelda, très clairement, SEGA aurait écrasé Nintendo en France…

Est-ce que les 30 ans de la série et la sortie de Breath of the Wild, assez inspiré par cet épisode fondateur, ont permis à des informations de revoir le jour ?

Pour le coup, pas du tout ! Nintendo n’a pratiquement pas communiqué sur le passé de Zelda avec Breath of the Wild. On en a plus découvert sur Zelda grâce à la communication autour de la NES Mini que grâce à Breath of the Wild.

Y a-t-il des questions sur les débuts de la saga auxquelles tu n’as pas trouvé réponse en rédigeant ce magazine ?

En fait, ce magazine est conçu comme une succession d’articles aux thématiques très précises et définies ! Il ne s’agit pas d’un « historique The Legend of Zelda ». Donc je pense qu’on pourrait encore se poser plein de questions et tenter d’y répondre car tous les mystères ne sont pas encore levés. Mais là, j’ai effectivement obtenu toutes les réponses aux questions que je me posais avant d’écrire ce magazine…