L'univers préapocalyptique de The Legend of Zelda: Majora's Mask
Majora's Mask fascine les joueurs de Zelda par son développement incroyable et par son ambiance si particulière. Le thème de apocalypse lui confère des qualités qui lui permettent d'être un grand jeu.
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L’apocalypse imminent implique le joueur peut modifier le temps et le contrôler. En effet, du drame imminent découle une nécessité de grands moyens tels que les voyages dans le temps. Ces derniers ne sont pas choses aisées à gérer dans le monde des jeux vidéo. Bien souvent, les possibilités sont limitées comme c’est le cas de Prince of Persia : Les Sables du temps où nous ne pouvons revenir en arrière ou ralentir le temps que durant quelques secondes. D’autres cas s’intéressent à l’impact que peuvent avoir des changements dans le passé sur un futur éloigné tels que Chrono Trigger ou encore Dark Chronicle, ainsi qu’évidemment Ocarina of Time ou Oracle of Ages même si les conséquences des actions passées se limitent souvent à la pousse d’un haricot magique ou d'une graine gasha. Mais encore une fois, l’action est limitée par un « simple voyage temporel ». Avec une apocalypse approchant, nous pouvons nous permettre plus de mécaniques temporelles. On peut ralentir le temps pendant les trois derniers jours qu’il nous reste à vivre. On peut revenir en arrière indéfiniment jusqu’à obtenir le résultat escompté comme dans Un jour sans fin. Tout ceci est autorisé car peu importe les conséquences de nos actions dans un futur lointain. Peu importe que Romani soit kidnappée par les extraterrestres ou que Kafei et Anju aient pu se marier. Tant que Majora et la chute de la lune ne sont pas arrêtés, la fin du monde annihile toutes conséquences.
Seul un être peut éviter l’apocalypse : le Héros du Temps hérité d’Ocarina of Time. En effet, pour pouvoir lutter contre une fin qui a été programmée, il est nécessaire de jouer à armes égales. Programmer la fin du monde, c’est contrôler le temps et même le vaincre. Il n’y a aucun hasard, aucun revirement de situation qui puisse changer l’inévitable. La fin du monde, de Termina, arrivera à la date et à l’heure fixées. Si Link ne récupérait pas l’ocarina du temps, alors il lui serait impossible de reprendre forme hylienne et de sortir de Bourg-Clocher. Et même en admettant, dans une version hypothétique du jeu, qu’il n’ait pas été transformé en peste mojo, mais qu’il possède dès le début du jeu le chant de l’apaisement et le masque mojo, il lui serait alors impossible de vaincre Majora sans devoir ralentir le temps ou revenir à l’aube du premier jour. Sauf si, éventuellement, vous vous intéressez au speedrunning et aux glitchs, mais là encore le chant du temps est quand même utilisé afin de gagner quelques secondes pour éviter les cinématiques. Néanmoins, le jeu tel qu’il a été conçu et ses enjeux ne permettent pas de s’abstenir de manipuler le temps.
De plus, manipuler le temps permet de lui donner une nouvelle perspective. On pourrait se lancer dans de grandes discussions théoriques sur ce qu'est le temps et comment le représenter, mais comme le dirait le Docteur dans l'épisode « Blink » de Doctor Who, c'est plus complexe que ça : « It's more like a big ball of wibbly wobbly... time-y wimey... stuff. » On a l'habitude de le représenter comme une chose linéaire avec d'un côté le passé, de l'autre le futur et au milieu le présent. Avec les voyages dans le temps permis par l'ocarina du temps, nous créons tout d'abord des noeuds lorsque nous avançons les heures, nous étirons le temps lorsque nous le ralentissons, nous faisons des boucles lorsque nous revenons dans le temps, si bien que l'image d'une grosse boule de méli-mélo enchevêtré semble tout à fait correcte. Un peu comme la guirlande lumineuse du sapin de Noël de l'année dernière que l'on sort du carton.
Avec cette nouvelle perspective, le futur peut être le passé, le présent peut être modifié en changeant le futur qui nous permet d'avoir de nouvelles possibilités dans le futur passé. En gros, le futur et le passé n'ont plus vraiment de sens pour Link. Il y a certes un programme, des horaires à respecter, mais ce qui compte c'est ce qu'il peut faire maintenant. Ce n'est d'ailleurs pas le seul personnage à partager ce point de vue. D'autres habitants de Bourg-Clocher choisissent d'agir quand ils le peuvent tout en sachant que la lune va s'écraser. C'est le cas de Kafei et d'Anju qui jusqu'au dernier moment, pour peu qu'on finisse la quête complexe qu'est celle du masque des amoureux, feront tout pour se retrouver et se marier. Ils ne se permettent pas d'être séparés, leur union est une condition sine qua non pour qu'ils puissent vivre et envisager un avenir.
« Nous attendrons ensemble que le matin arrive. »
Autre personnage, beaucoup plus accessoire, qui possède également une relation très particulière avec le temps : Pierre, l'épouvantail. Apparaissant à l'Observatoire céleste et au magasin Troc en Trop, il s'agit du personnage probablement le plus lucide vis-à-vis du temps. En effet, c'est non seulement lui qui vous apprend que vous pouvez détourner le chant du temps pour en faire les chants du temps ralenti et accéléré, mais il permet également en dansant sur le chant de Saria de passer à la demi-journée suivante. Il sait donc qu'on peut modifier le temps à sa guise, mais ne se souvient pas de nous une fois que l'on a retourné le temps. Il ne lui reste plus qu'à se soucier de l'instant présent et de faire ce qu'il lui plaît : danser. C'est son carpe diem. Il continuera de danser autant qu'il le souhaite même s'il faut pour cela sacrifier des heures précieuses qui auraient pu servir à sauver un géant ou récupérer un flacon supplémentaire auprès des frères castors, même si cela le rapproche de la fin. Les paroles de Pierre sont en plus intemporelles. On retrouve le même raisonnement encore de nos jours. Écoutez attentivement, par exemple, les paroles écrites par Vianney et interprétées par Kendji Girac dans la chanson Pour oublier. Les mêmes idées y sont répétées : « Danser. Pour oublier. Y a plus ni futur ni passé. »
« Si tu veux, baby, on peut oublier le temps et danser jusqu’à la nuit tombée ! »
L'apocalypse approchant est dans le cas de Majora's Mask une magnifique chose. Elle nous sert d'excuse pour pouvoir manipuler le temps et pour découvrir de nouveaux horizons en matière de gameplay. Elle nous permet également de mettre en exergue un présent que l'on a trop tendance à oublier. C'est aussi l'occasion de confronter des personnages à une peur commune, la peur de mourir et de voir mourir ses proches, et d'explorer leurs réactions.